vendredi 13 septembre 2024

Tatami



Un film immense, à la portée jamais atteinte en ce qui concerne une œuvre ayant le sport en décors.

Une tension permanente attrapant notre attention, dans la reconstitution remarquable d'une compétition de Judo, parfaitement crédible, et témoignant de l'intensité de ce sport de combat, l'intellect et le physique happés par une double trame entre les championnats du monde à Tbilissi, et les événements concomitants à Téhéran.

Le synopsis est d'une efficacité redoutable en sa simplicité : risquant de se voir confronter à sa potentielle adversaire israélienne en finale, on cherche à la faire abandonner dans dans cet enchaînement de combats qu'elle domine avec brio.

C'est ainsi que se noue l'intrigue : une entraîneure écrasée dans l'étau d'un harcèlement politique émanant de la Fédé d'Iran, téléguidée par un pouvoir odieusement misogyne et totalitaire ; une héroïne inflexible et révoltée, dont la famille à distance est menacée ; l'enjeu surpasse absolument le jeu, les barbouzes islamistes outrepassent honteusement tous les règlements, menacent, insultent, incarnent au plus haut point l'ignominie de ce régime allié de la russie de poutine (en leur vendant des drones et des missiles à portée longue, afin de tuer des femmes et des enfants d'Ukraine).

Un régime à vomir — et c'est ce que ressentent en décalage une héroïne et puis l'autre...

Un régime à fuir aussi pour les protagonistes iraniens menacés sur place.

Une ode à la Liberté que cette histoire de femmes, où l'on ne voit finalement que des femmes en action contre d'odieux potentats masculins.

Cette œuvre est aussi la réflexion la plus puissante à mon avis, qu'il m'ait été donné de voir au sujet de la notion de choix, d'engagement, que se soit par le sport ou par un autre moyen, bouffée d'air pur après la trêve olympique hypocrite et sans lendemains que nous venons de vivre.

Une réalisation sans faille, avec un emploi pertinent du Noir & Blanc, nous renvoyant aux films mythiques usant de cette pellicule au combat ("Plus dure sera la chute", "Raging Bull") et lui conférent le côté pathétique ou le sang n'a pas de couleur. Un duo d'actrices époustouflantes, convaincantes à l’extrême et touchantes, bouleversantes, passionnantes.

On ne ressort pas indemne d'un tel film !

On a envie d'en parler, de partager l'intensité des émotions ressenties, de dire aussi simplement : "venez voir ça ! C'est sublime."

Au Panthéon des chefs-d'œuvre abordant le milieu sportif, il outrepasse ainsi "Les chariots de feu", "Par l'épée", "Million dollars Baby", parce que comme eux, dépassant le sujet du sport, il parle en priorité des préoccupations de l'Homme qui vit, mais ici surtout de la Femme.

dimanche 4 août 2024

La médaille d'or au Grand Palais de l'équipe ukrainienne de sabre


Ironie du Sport : "l'Ukraine succède à la russie, qui avait remporté le titre à Tokyo."
C'est sous des acclamations incroyables et sous le dôme du Grand Palais, sur les bords de la rive droite de la Seine à Paris, que l'équipe ukrainienne d'escrime au sabre, a pu célébrer l'hymne ukrainien ceintes pour chacune d'entre elle d'une éblouissante médaille d'or.
Or, il s'avère aussi que la capitaine ukrainienne, était réputée pour avoir refusé de serrer la main d'une adversaire russe à la fin d'un combat, la tenant à distance avec son sabre. On l'avait alors disqualifiée, mais requalifiée sur intervention des instances internationales.
Il n'y a de valeurs de paix dans le sport, qu'à condition que la paix soit aussi dans la vraie vie.

samedi 11 mars 2023

Transmission, Culture, Héritage

 

Le Rugby, c'est une histoire d'héritage, de Culture et de terroir. On n'aime pas le Rugby, mais on vit le Rugby.

Fabien Galthié — le chef entraîneur du XV de France — est un grand sentimental : il pleure à son interview d'après victoire, en se remémorant toute son histoire personnelle en cette enceinte historique qu'est Twickenham, avec les temps forts et les temps faibles.

On doit être un sentimental afin de penser ce sport ; en effet, ce n'est pas un sport de brutes, mais un sport de poètes, avec un poids considérable en matière de transmission comme on se transmet la balle.

Les gros costauds sont les premiers à pleurer, tant dans la victoire que dans la défaite, un sport viril et certainement pas viriliste, et d'ailleurs les filles y jouent très bien, peut-être avec plus d'élégance encore que les garçons.

Fabien Galthié vient de rendre à la sélection française une identité de terroir, un héritage intellectuel et culturel, une inventivité propre à cette identité.

Ce sont les grandes nations adverses qui l'admirent le plus : "french flair is coming back..."

Il est l'héritier de la pensée d'un Daniel Herrero, dont l'essai (bon terme littéraire en matière de Rugby) se nommait "L'esprit du jeu, l'âme des peuples". Un de mes bouquins de chevet.

Mon grand-père paternel était demi d'ouverture à l'ASM (Clermont-Ferrand). Plus tard, à trois ans, mon père allongé dans le canapé, me blottissait contre lui, pour regarder les samedis, le tournoi des cinq nations, tout en m'expliquant les subtilités des règles de ce jeu.

Puis je devins joueur de Rugby (tout en étant athlète, les deux sports sont souvent combinés), puis mon fils aussi, trente ans plus tard.

Transmission, Culture, Héritage.

Il y a dans le Rugby, la leçon de la Vie.

Fabien Galthié sait cela. Son travail est donc infiniment plus psychologique et moral que technique. Avec de jeunes joueurs talentueux, ce n'est pas la technique qui prime.

Et ce soir, après cette victoire historique à Twickenham, après cette humiliation, ce n'est pas la technique en question, mais l'âme des peuples oubliée par l'Angleterre, ainsi que nous l'avions oubliée juste avant elle.

On ne gagnera peut-être pas notre coupe du monde à venir cet automne, mais une chose est sûre : on lui fera honneur avec un vrai style.


samedi 14 décembre 2019

Le Tour de Van Impe

Je crois que je vais écrire un article à propos du Tour de Van Impe, celui de 1976, celui de la canicule au bout duquel on vit Poupou de nouveau sur le podium.
Le Tour de Van Impe, un mythe, un montagne, un grimpeur.
Et Poupou, quarante ans passés faisait troisième à mes yeux émerveillés de petit garçon criant "vas-y Poupou !"
Poulidor à la façon des disques Polidor, enchaînait les plateaux et les pignons dépeints par les journalistes d'alors.
On était dans le temps d'avant les supercheries, dans le temps d'Homère et des légendes, un temps naïf et béni, le temps de Raymond Poulidor.
Et ce temps se mêlait mal, en vinaigrette assumée, se mêlait mal à celui du sport-spectacle et de l'argent facile.
Avec Raymond Poulidor, on a perdu le dernier représentant du vrai sport, à savoir en fait de l'esprit sportif.
Il était un temps fondateur où la défaite était fascinante, où l'effort était primordial et le sacrifice honoré. Nous avons oublié de la guerre au sujet du sport, un peu de son simulacre dont nous causait justement Montherlant.
Mais la guerre de Poupou, c'était celle de la Chevalerie, la joute héroïque, ordalique, et dont il sortait fier autant triomphant que vaincu.
Lucien Van Impe a remporté le Tour en 1976, un Tour offert à l'un des plus beaux grimpeurs de l'histoire de la petite reine, et Raymond Poulidor acheva sa carrière en étant sur la troisième marche de ce podium, pour sa dernière course.
Il va falloir que j'écrive un article à propos du Tour de Van Impe... Et pourtant, de ce Tour extraordinaire, on a tendance à ne retenir en vrai que Poulidor ! À quarante ans, troisième ! Allez Poupou !
Parler du Tour de Van Impe est illusoire, imbibé qu'il est de Poulidor. En France — étrange entité littéraire étatique — on triomphe en perdant, Guerre et Paix, la Berezina nous sanctifie mieux que le Jourdain.
La légende de la Grande armée s'est bien plus construite sur la terrible retraite de Russie — j'en suis un descendant — que sur Austerlitz.
Nous Français, vénérons curieusement plus nos défaites que nos victoires : Azincourt, Waterloo, DIEN BIEN PHÛ
Lorsqu'on regarde "La 317ème section", tout cela se met en ordre et se caractérise :
Il y a de l'élégance à perdre avec légèreté.
La France n'est pas un pays de "winners" (là-dessus Macron a tout faux !)
La France est un pays de loosers magnifiques — on adore être admirés — genre on fascine absolument les autres qui nous trouvent complètement cons de perdre alors qu'on devrait gagner — oui mais, avec le "panache", héritage inéluctablement indécrotable ancré sur notre Cyrano national.
Et Cyrano (putain de génie de Rostand !), ben c'est juste nous, fille ou garçon, nous sommes inséminés par son long nez.

Pendant ce temps, Van Impe emporta le Tour en 1976, et je devrais le raconter.


mardi 23 décembre 2014

Rugby polaire

à la suite de ce formidable article du journal L'EQUIPE
je vous propose ma vision des choses et mon espoir.



Il règne un froid polaire du côté obscur de la Force, un froid qui vous glace le sang, un froid qui conduit à la mort parfois... Cette Force qui est devenu le leitmotiv du Football de Rugby, semble l'entraîner de phases maniaques en phases dépressives dans ce qui est en réalité une violence non contenue, une virulence sans mesure face à laquelle les règles sont à parfaire d'urgence.
Il en est une simple et ferme et possible à mettre en application messieurs du Board, afin de sauver votre sport qui sombre dans la noirceur du côté obscur de la Force : obliger le plaquage aux jambes et interdire tout contact au-dessus de la ceinture. C'est ainsi que vous ramènerez l'esprit du jeu d'évitement dans votre sport !

Et pourtant, tout cela commence à l'école du jeu : la première chose que l'on apprend dans le rugby lorsque l'on est minot, c'est à plaquer, et plaquer, c'est faire tomber son opposé d'une prise aux jambes – voire aux chevilles pour les plus doués adeptes de la « cuillère » - sur une herbe bien grasse qui, sinon vous garnir de boue bien dégueulasse, vous garantit le moelleux d'un tapis de saut à la perche dans la chute.


On plaque aux jambes, et plus c'est gros, plus ça tombe lourdement.
Cessons de l'oublier et c'est de là que repartira le rugby.
La force des avants doit servir en mêlée, en maul constitué, là où la force debout est valorisée et valorisante, mais il faut interdire les percussions malsaines qui font dériver le jeu et le morphotype de ses acteurs.
Un physique de danseuse et d'ouvreur (de triple-sauteur en athlé'), j'adore faire tomber les balaises d'une petite cuillère. Après faut qu'il s'cache...
Autoriser les percussions, c'est permettre d'annihiler de petits gabarits en les détruisant par vengeance. Ne pas comprendre cela n'a fait qu'amener aux actuelles dérives.
Dans les écoles de rugby, on t'apprend à plaquer aux jambes ; c'est après en grandissant que les choses se compliquent.
Faire des équipes en catégories de poids serait absurde, car tout l'intérêt de ce sport réside en la représentation des différents morphotypes de l'athlé', selon les postes et les spécialités !
La dérive vers les rugbymen bodybuildés date du professionnalisme. Réinjecter le charme et la dimension civilisée, joueuse du vrai plaquage tel qu'on l'apprend aux enfants, permettrait de revoir des centres au physique de coureurs de 400 m ou de 800 m, tels que Sella et Codorniou, et de vrais ailiers sprinteurs comme Estève ou Bernat-Salles, sans parler des ouvreurs ou des demis de mêlée, ni des avants qui ressemblent aujourd'hui à des murs...
Si on ne met pas en place cette règle, le rugby deviendra un sport d'autobus, un spectacle de gladiateurs, tel que Laporte l'a voulu - avec le peu de succès que l'on sait - au point d'y perdre la culture du jeu à la française.
Si sa pratique est plus rapide et les joueurs plus lourds, son énergie cinétique (Ec = 1/2mv²) est surmultipliée par un facteur simple et un autre au carré. C'est physique et arithmétique, et c'en devient barbare ! Bientôt, interdire les chocs frontaux dans le rugby, ce sera sauver des vies.

Regardez jouer les enfants : le terrain de rugby, c'est le lieu d'un "épervier" géant dont le rôle voyage au gré des mouvements du ballon, c'est un sport d'évitement dont l'âme s'est égarée dans la testostérone et le dopage.
Mais c'est un sport encore adolescent, c'est à dire avec une force mature mais un esprit puéril. Certaines décisions lui permettront de passer à l'age adulte, celui des responsabilités.

samedi 20 octobre 2012

Un jour de gloire fut arrivé





Et ce jour-là fut le 11 février 1989.
Et ce jour-là, un petit franchouillard du nom franchouilleux de René Jacquot, battit le « Cobra » alias Don Curry – un nom sentant d'emblée l'épice, mais ce qui sent l'épice n'est souvent pas propre à consommer.
René Jacquot, c'était d'abord une gueule ! Une gueule de métallo' ! Une gueule de mec qui a pris des coups, comme une enclume sous un marteau... Une gueule de travailleur et de taiseux qui sait pourtant parler. Une gueule de syndicaliste lorrain qui a mis les poings d'exclamation et les gants de velours sur les aciéries. La gueule d'un mec fier de sa région, d'un français fier de sa patrie, de son histoire, de l'histoire de la boxe et de la place qu'il allait y creuser comme en un creuset des hauts-fourneaux.
Tel était René Jacquot avec son beau nez multiplement pété et sa gouaille intelligente.

En ce jour du 11 février 1989, rares étaient ceux à miser un kopeck sur les chances du français. L'adversaire, auréolé de sa légende de puncheur, apparaissait comme un évident punisseur. Il s'agissait de l'un des boxeurs les plus emblématiques de la légende de ce sport, et Jacquot se présentait alors apparemment en victime expiatoire. Mais Jacquot possédait sa logique à lui, à des années-lumière du bruit médiatique ; lui, il préparait son combat.
L'humilité est une arme puissante en matière de posture psychologique : elle apporte à la fois le gage du bon-droit et la rassurance du rien-à-perdre. Elle permet de structurer son projet selon des axes d'efficacité, de rectitude et de légitimité. Cet homme simple portait – et porterait, c'est mon avis encore – en lui les valeurs d'un public français qui s'identifierait.
Jacquot était un boxeur poussif : loin de lui les palmarès élogieux qui vous poussent au devant des grands combats de la lumière. Jacquot était un boxeur de l'ombre. Une barre de métal en fusion sur laquelle le marteau des poings s'était abattu comme afin de le ciseler idéalement.
Jacquot était un boxeur poussif, loin des flons-flons de la gloriole ultra-libéraliste et de ses illusions, loin des néons d'air sale, loin de l'Amérique, loin du Madison Square Garden, loin de Don « Cobra » Curry.
René Jacquot était un type avec lequel j'aurais pu tirer, comme avec ce champion de France amateur qui m'en mit plein la gueule pendant un round, parce que mon cousin lui avait dit que j'adorais les combats d'rue. René Jacquot était un futur champion du monde WBC avec une gueule de voisin d'à-coté. Son triomphe est un orgasme prolétaire ! Jacquot nous a montré la voie : celle du tout possible avec la foi, avec la certitude de son propre destin, et je ne saurais jamais infiniment encenser ce prophète autant que ma propre voix me dicte de le clamer.
Tout est possible !
Un métallo' français avec la gueule en biais, est en mesure de battre une star du show-bizz américain. Tout est possible, car le travail et le Génie ne sont pas déposés comme brevets sur le vivant par Monsanto. Tout est possible parce qu'il suffit de croire en Soi et en son Destin. C'est ce que fit René Jacquot, moins rapide, moins doué, moins fort, mais infiniment plus intelligent, et subtil.
Depuis, les années nous sont passées dessus... René perdit son titre en se tordant la cheville au premier round, contre le génial Mougabi. Ceci contribue formidablement à sa légende – avec ce terrible sentiment d'injustice dont je fus investi à l'époque. Mais il est important d'enrichir le mythe de Monsieur Jacquot.
Il me plairait bien – puisque je pars souvent vers l'Alsace – qu'il m'arrête et me paie un jour en sa Lorraine un verre, pour me parler de sidérurgie et de coups de poings.
La leçon est qu'en boxe, personne n'a jamais gagné d'avance, ni perdu non plus. C'est un sport de combat où il faut aller au charbon comme à la mine, creuser ses propres galeries pour apparaître au bout du monde, et cogner avec la certitude de son bien-fondé.
Notre France n'est que le produit de nos ambitions et de nos échecs.

dimanche 23 octobre 2011

La mort de l'anti-champion



La rugosité de sa voix m'avait heurté, en ce début juillet annonçant une canicule qui fut un feu de paille, au point que je mis bien quelques minutes à reconnaître le commentateur Laurent Fignon, plus par déduction inhérente aux effets de sa maladie et de ses traitements, qu'à sa véritable empreinte vocale.
Comme toujours, le monde entier l'encense dès lors qu'il n'est plus... Je ne crois pas que cela lui fasse grand plaisir de là-haut ! Ce mec avait une trop grande gueule et un amour trop viscéral de la vérité pour jouir au paradis des salamalecs du sportivement correct.
Laurent Fignon est un anti-champion car il est l'antithèse de ce que produit habituellement un cycliste d'élite, et français de surcroit, sur l'imaginaire des masses populaires. Difficile de s'identifier à ce garçon marginal, marginal par son allure (cheveux longs d'un blond filasse et tirés en catogan, petite lunettes rondes façon Trotsky ou Gandhi), marginal par son intelligence, son niveau de culture et sa sagacité.
C'est en grandissant que je me suis mis à apprécier puis à aimer ce cycliste ; plus cela devenait dur pour lui, et plus je devenais adulte, plus son panache et son courage me sont apparus splendides.
Pourtant, c'est l'été 1983 que la France découvrit celui qui allait pallier l'absence du héros national, Bernard Hinault. Et d'emblée, il ne fut pas l'élu de la liesse publique : on lui préférait - dans le duel franco-français - le petit Pascal Simon qui, malheureux, s'y fissura une omoplate dans une chute, abrégeant ainsi la tragi-comédie annoncée, et laissant les lauriers au futur mal-aimé du Tour de France, au plus grand anti-champion de tous les temps.
L'année suivante, Hinault était de retour et tout le monde attendait qu'il croque Fignon. Même Coluche eut ces mots devenus célèbres : "Il a fait le trou Fignon, mais se faire battre par Hinault, c'est rosse !"
Il n'en fut rien. Le parisien - ce qui ne rajoutait rien à sa popularité, car on aime bien les cyclistes qui sentent bon le terroir - écrasa sportivement le breton d'une façon éclatante qui ne fit pourtant pas vibrer les foules. Avec du recul, on mesure mieux la dimension de l'exploit...
Dopage ?
Il a avoué s'être dopé. Le problème du cyclisme n'est pas tant, à postériori, celui du dopage que celui de ceux avouant y avoir eu recours. Tout le monde se dopait... Il y avait un certain pied d'égalité... Tout le monde sauf Charly Mottet - que bien sûr le grand public a oublié - quelques années plus tard, et dont on pense qu'il eut du gagner plus de Tours que Lance Armstrong si le peloton avait roulé à l'eau claire.
Qui est le coupable ? Le dopé ou l'institution laxiste qui le permet ?
C'est la dernière question philosophique que nous a laissé feu Laurent Fignon.
Ce dopage a d'ailleurs probablement brisé sa carrière. Il eut - comme Hinault juste avant lui - la maladie inflammatoire des tireurs de braquets monstrueux, gonflés qu'ils étaient sans le moindre doute par des substances propices à augmenter la vitesse, sans pour autant rendre plus spectaculaire le sport.
Il mit beaucoup de temps à revenir à son vrai niveau, mais y parvint toutefois, en ce dramatique été 1989. Il avait dominé ce tour de la tête et des épaules, et un peu des jambes aussi... Il disposait d'une avance confortable, mais les organisateurs en quête de spectacle, avaient décidé que la dernière étape des Champs serait un contre-la-montre. Plus jamais cela ne sera le cas. Ce jour-là, il y eut un traumatisme national : alors que le mal-aimé s'apprêtait à empocher son troisième Tour, on-ne-peut-plus logiquement, il franchit la ligne avec un retard de huit petites secondes sur la première place du podium, réservée à un américain ayant roulé avec un guidon adapté, un vélo profilé, et je ne sais quelle autre arme technologique...
L'histoire racontera qu'en plus, notre anti-champion souffrait le martyre avec quelques furoncles au cul !
Il s'est gardé d'en parler.
Alors qu'il pouvait devenir une idole des foules, ces mêmes foules embrasées par les secondes places à répétition d'un Poulidor, préférèrent un silence mortuaire et l'oubli de cet événement.
Il reste de lui l'image de son effondrement sur la ligne, à bout de tout, car il allait à bout de tout, comme il est allé au bout de sa maladie. Pas d'excuse ! Pas de faux-fuyant ! Gagner c'est gagner, et ça se fait sans humilier. Perdre c'est perdre, et ça se fait dignement. Laurent Fignon est allé une fois encore au bout de lui-même. Il était présent en tant que commentateur sur le dernier Tour de France, et il s'est lâché, vilipendant les tactiques stériles, lui qui aimait tenter le tout-pour-le tout.
Dans la vie, on aime spontanément, et donc souvent bêtement.
Et puis parfois, on n'aime pas trop, on apprend à reconnaître, à connaître, à apprécier, chapeau tiré, et on finit par aimer vraiment.
Ce type-là, c'était certainement un anti-champion, mais putain ! C'était un type que j'aimais bien.
C'est con d'attendre une mort pour écrire de telles choses.