jeudi 31 décembre 2009

Le guépard

L'acquisition de la bipédie n'est pas liée, quoiqu'on y eut longtemps cru, à la chute d'un singe sur le sol. De récentes et passionnantes études britanniques ont à ce titre démontré que cette station est loin d'être la plus commode sur le milieu terrestre, mais qu'elle s'assimilerait beaucoup mieux à un mode de vie arboricole : se redresser pour attraper les branches, pour se réfugier dans l'arbre, loin du danger qui guette lorsque l'on ose toucher terre en quête d'une quelconque pitance...
L'Homme – et de récentes découvertes de certains de nos ancêtres (Tumaï) le corroborent – aurait donc acquis sa bipédie dans un mode de vie oscillant entre son refuge végétal et le sol hostile. La suite laisse à toute théorie sa place, celle à mon sens la plus romantique étant qu'il ne tomba pas sur du dur mais dans l'eau – d'où une pilosité que vous noterez inverse des grands singes et à la texture protéique proche de celle des cétacés, d'où une propension spontanée à la nage (chose inimaginable chez les autres simiens), et d'où peut-être cet étrange lien avec les dauphins...
Quoi qu'il en soit, mammifère amphibien ou non, l'Homme dut regagner la terre ferme et ses affres subséquents. Et il le fit debout ! Pas facile lorsqu'à quatre pattes, tout le monde va plus vite que vous ! La question de notre vitesse à deux membres fut donc la clef de nos préoccupations de survie, et ce depuis que la station verticale nous débloqua l'atlas et l'axis, laissant pousser derechef notre occiput et notre intelligence avec. C'est probablement ainsi qu'Homo sapiens se mit à vénérer la course et ses coureurs... Celui qui court le plus vite est celui qui échappera le premier au danger, celui aussi le plus capable à rafler du gibier.
Les civilisations naissant, le mythe du coureur de désenfla point : la vitesse fut une arme en soi, le gibier devenant l'autre, l'autre Homme – donc la proie par transitivité. Il atteint même son apogée avec la Grèce antique, Hermès, dieu le plus populaire étant ailé de ses semelles, et l'invention des jeux olympiques que Monsieur de Coubertin remit au goût du jour en pertinent simulacre de la guerre. C'est ainsi que nous arrivâmes en l'an 2008 de notre ère. Il vit la naissance d'un demi-dieu au statut hérité de cette hellène antiquité, et l'an 2009 en vit la consécration : Usain Bolt.
Usain Bolt est aujourd'hui un demi-dieu : il déclenche une admiration, une ferveur, une fascination, une passion, une folie, qui n'ont rien de rationnel et tiennent plus de la vénération religieuse que de l'engouement sportif. Je ne sais quel est le dieu qui s'est penché sur la Jamaïque et sur une génitrice de ce petit îlot des Caraïbes, je ne sais quel est le mixage interracial qui a pu procéder à ce miracle, mais le fait est là : un enfant noir de l'endroit probablement le plus nonchalant du globe, est devenu le fils d'Hermès.
On s'interroge souvent sur le fait de savoir quel fut l'homme le plus rapide de tous les temps, Jesse Owens claquant le bec d'Hitler aux jeux de Berlin, le fantastique et beau Carl Lewis, la loco de Waco, Michael Johnson. Bien sûr, les temps pourraient prouver des choses, mais si peu... Les techniques d'entrainement, de préparation, le matériel, les pistes ont évolué ! Rendez-vous compte qu'aux jeux olympiques de Paris, en 1924, Eric Lidl creusait ses starting-blocks dans la cendrée avec une petite pelle en forme de losange. La comparaison parait difficile. Mais Usain Bolt n'est pas comparable. S'il abat des temps comme au tir au pigeon, là n'est pas la question, ce n'est que la conséquence. S'il avait concouru en 1924, il aurait mis la même distance avec tous ses adversaires ! Lidl ? Le duel aurait été croustillant, mais je crains qu'il n'ait tourné au profit du divin jamaïquain.
Non ! Là n'est pas la question. La question est dans sa façon de courir : Usain Bolt défie toutes
les théories foireuses des techniciens du sprint en athlétisme !
Ils disent :
«– Pour aller plus vite, faire des petites foulées ultra-rythmées !
– Être plus puissant, plus massif, plus musclé, plus pénétrant !
– Vivre sur la tension nerveuse comme une corde d'instrument prête à céder ! »
Usain Bolt répond :
«– J'avale la piste à grands pas !
– Je suis grand long et mince, comme un triple-sauteur, et alors ?
– Je suis cool et je m'éclate en courant ! »
Oui, Usain Bolt éprouve un plaisir indescriptible dans l'accomplissement de ce pour quoi il se sait fait : courir vite. On parle de surnaturel en parlant de lui, mais qu'est-ce que le surnaturel sinon l'apogée du naturel, l'expression absolue de ce pourquoi l'on est fait ? Le surnaturel est au naturel ce que le surréalisme est au réalisme : un paroxysme.
On retrouve donc chez Bolt ce qui faisait l'inspiration de Lidl : le sentiment d'être à sa place, à savoir la meilleure.
Dopage ?
C'est un souffle d'air frais loin des coureurs body-buildés. Même à notre heure, tous les miracles ne sont pas frelatés ! Et c'est aussi cela le souffle d'air pur que nous procure cette énigme absolue de la course à pied. Alors bien sûr, il est rattrapé par les contrats, les pubs, et cætera...
Mais !
Regardez le courir !

Si l'on devait parler de dopage au sujet de cet homme-là, je suggérerais une manipulation génétique avec l'ADN d'un guépard, lors de sa conception.
C'est absolument fascinant ! Le morphotype, le port de tête, la saillance des muscles longs sous la peau, l'attitude générale, mélange de souplesse, de puissance et de décontraction, de fluidité musicale, observez-bien ! Usain Bolt est un guépard.
Je me suis amusé à observer la course d'un tel félin.

Je l'ai comparée à son 200 m d'anthologie. Le résultat est surprenant.

Même à deux pattes, il y a quelque chose de considérablement similaire. Usain Bolt est un guépard ! Je suis stupéfait mais incroyablement heureux d'avoir pu assister à l'expression d'un tel génie, naturel; tellement naturel, surnaturel !
Si vous cherchiez à savoir la seule chose que je puisse écouter en écrivant cet article, je vous répondrais tout aussi naturellement : une symphonie de Wolfgang Amadeus Mozart.

samedi 5 septembre 2009

Ô Brazil

J'ai un respect profond, une fascination totale, une attirance indéfectible pour le Brésil, pour ce peuple fait de musique, de poésie et de football, pour sa bossa nova, samba ralentie, pour son Amazonie et ses plages du nord este que la chance me fera peut-être un jour connaitre, pour cette langue portugaise à laquelle on ne peut que s'enlacer, pour ces beautés métisses, pour ses génies du foot.
Il y a toujours deux "moi". Hein Sacha ?
Il y a Michel, voué au rugby, argentin comme les pumassssssssssss ! Et la beauté des orphelines du pensionnat de San Isidro, des putes de la Bocca que Corto fréquente trop...
Il y a Micha, dévoué au foot do Brazil ! Aux bikinis auriverde dans les tribunes... A la musique de Chico Buarque... A Copacabana, Recife et Sao Paulo... Aux dribbles de Garrincha, à la technique de Zico, au talent de Ronaldo, de Ronaldinho, de Romario, à la sagesse de Socrates, aux coups de foudre de Didi, d'Eder et de Roberto Carlos, à la finesse de Falcao et de Bebeto, à l'immortalité de Vava et de Paulo César, au Dieu Pelé... Auquel un autre est en train de succéder ! Pelé l'a désigné cette nuit ! Il l'a appelé le Dieu Zidane.
Je sais pourquoi les brésiliens ont pris l'habitude de perdre contre les français : Il les aiment.
C'est difficile de battre quelqu'un qu'on aime !
Au début, c'était les français qui aimaient les brésiliens...
C'est pour ça qu'en 1958, le génie de Kopa, Piantoni et Fontaine a fondu face au Dieu Pelé naissant. Il avait dix-sept ans.
Mais une histoire d'amour s'écrit toujours à deux.
Alors peu à peu le Brésil est tombé amoureux de la jolie France.
De celle qu'on appelait à raison le petit Brésil...
Faut dire qu'avec Marius Trésor, Didier Six et Michel Platini, y'avais peut-être pas de la samba, mais une bossa nova toute hexagonale.
Le premier match que mes parents me laissèrent regarder la nuit se déroulait au stade du Maracana à Rio; je crois que c'était en 77 ou en 78, en tout cas en préparation du mundial argentino, encore l'Argentine...
Ils firent non pas match nul, mais égalité. Comment peut-on parler de match nul quand on touche au rêve et au génie ?
Marius mit une tête d'anthologie avec sa silhouette toute brésilienne. Et Didier Six, ce joueur improbable qui s'en fut finir une carrière insaisissable dans une Turquie naissante au foot, fit se lever 120 000 spectateurs ! Une leçon de génie brésilien au pays hôte ! Il jongla dans la course, je ne sais plus combien de fois tant ça parut long ! Puis il enchaîna sur une volée... But.
C'est à ce moment là que le beau Brésil est tombé amoureux de la jolie France !
Bien sûr... Au début le beau Brésil a fait son macho.
Des petites humiliations bien masculines.
Je n'étais pas vieux quand j'ai été voir mon premier match au parc des princes.
Vous ne devinerez jamais quelle en était l'affiche !
Ben oui... France-Brésil !
La suite de cette romance.
C'était au début des année 80', juste avant le mundial espagnol qui fit de la France le vrai petit Brésil...
Lui affirma de trois buts à un sa suprématie sur son amante.
J'étais avec mes copains dans la tribune do Brazil. Ce soir là j'ai conçu que football ne se conjuguait pas nécessairement avec haine. Dans une ambiance toute de fête, les brésiliens étaient sûrs de leur fait et, de leur plus grande équipe qui ne fut jamais consacrée, celle des Socrates, Falcao, Zico, Eder, Junior, et consorts, ils oublièrent qu'ils n'étaient pas plus maîtres de leur sort que l'amant qui se croit invincible.
Il suffit d'un assassin blême mouillé dans de multiples scandales financiers : Paolo Rossi.
Fini le beau rêve de génie brésilien tel qu'il ne se produira plus jamais, je crois...
Ce jour-là la jolie France dépucelée se mit à devenir adulte.
Alors il y eut Guadalajara... Rien que ce nom prononcé à l'espagnol rappelle des poésies de Berthold Brecht sur la guerre d'Espagne. Tiens ! Aux pseudo-poètes pédants, qui se pensent la réincarnation de Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, je conseille la lecture de Berthold Brecht ! Ne serait-ce que pour acquérir un peu d'humilité. Et pour les jolies faiseuses de mots (ce qui n'est en rien péjoratif !), je ne suis pas en train de draguer ! Juste en train d'essayer de partager des mots avec ceux qui aiment lire les miens.
"Guadalarajara massiv" disait Berthold !
Guadalajara c'est aussi la première fois que la jolie France a montré à son beau Brésil qu'une amante a aussi ses droits !
Il n'a pas tout de suite compris. Brazil, je crois que ça veut dire "brillant". Les amants qui vous fascinent mesdames sont toujours brillants.
Il fallut attendre ce 12 Juillet 1998 pour que cet amant brillant comprenne...
Comme un mari cocu, le Brésil est rentré vaincu, humilié, par sa jolie France dont il se croyait maître officialisé.
Il ne comprenait pas : un mauvais rêve.
Il a cru tout corriger par la suite. Les choses rentraient dans l'ordre. La belle amante humiliée à son tour !
Mais hier soir elle s'est rappelée à leur amour passion. La jolie France a fait un bel enfant avec son amant le Brésil : Métissé comme lui des lointaines montagnes de Kabylie, le Dieu a changé de patrie.
Il a un port d'attache que je connais bien, le vieux, tiens ! Comme on dit de lui, le vieux port de Marseille.
Le Dieu Zidane...
Oh... Brazil ! Mon amour !
Apprend à respecter ce que tu aimes !
Je te ressemble, ô Brazil !
Cela peut paraître ridicule, mais j'avais les larmes aux yeux de ce qui s'est passé hier soir. J'avais dit que ce serait le grand soir !
C'était un réveil très improbable de l'été 98, quand cette vague d'optimisme m'avait moi aussi conquis. C'était l'apogée de ma relation avec Morgane. Et pourtant j'en souffrais déjà. Il en est ainsi des relations passionnelles, France-Brésil, Morgane-Michel, notre semblance nous fait parfois bourreaux à tour de rôle.
Le Brésil regagnera beaucoup de coupes du monde.
La France est juste sa vérité, et Zidane son enfant volé...
Je n'ai pas vécu beaucoup d'émotions vraies liées au sport. Je me souviens de la demi-finale de 82 contre l'Allemagne, De celle de rugby en 87 contre l'Australie et cet essai de Blanco que je sentais venir (quelques heures plus tard il fallait que j'aille passer mon bac philo...), je me souviens de cette demi-heure de rêve contre les génies all-blacks, en 99, jamais le rugby français n'a atteint de tels sommets, les maoris eux-mêmes n'y comprenaient plus rien.
Le french flair !
ce n'est pas qu'une légende !
Il n'est que l'émanation de ce que vous les femmes françaises êtes au quotidien; à force de nous l'imposer, même les joueurs de foot et de rugby en sont imprégnés, Micha et Michel aussi, vraisemblablement...