samedi 11 mars 2023

Transmission, Culture, Héritage

 

Le Rugby, c'est une histoire d'héritage, de Culture et de terroir. On n'aime pas le Rugby, mais on vit le Rugby.

Fabien Galthié — le chef entraîneur du XV de France — est un grand sentimental : il pleure à son interview d'après victoire, en se remémorant toute son histoire personnelle en cette enceinte historique qu'est Twickenham, avec les temps forts et les temps faibles.

On doit être un sentimental afin de penser ce sport ; en effet, ce n'est pas un sport de brutes, mais un sport de poètes, avec un poids considérable en matière de transmission comme on se transmet la balle.

Les gros costauds sont les premiers à pleurer, tant dans la victoire que dans la défaite, un sport viril et certainement pas viriliste, et d'ailleurs les filles y jouent très bien, peut-être avec plus d'élégance encore que les garçons.

Fabien Galthié vient de rendre à la sélection française une identité de terroir, un héritage intellectuel et culturel, une inventivité propre à cette identité.

Ce sont les grandes nations adverses qui l'admirent le plus : "french flair is coming back..."

Il est l'héritier de la pensée d'un Daniel Herrero, dont l'essai (bon terme littéraire en matière de Rugby) se nommait "L'esprit du jeu, l'âme des peuples". Un de mes bouquins de chevet.

Mon grand-père paternel était demi d'ouverture à l'ASM (Clermont-Ferrand). Plus tard, à trois ans, mon père allongé dans le canapé, me blottissait contre lui, pour regarder les samedis, le tournoi des cinq nations, tout en m'expliquant les subtilités des règles de ce jeu.

Puis je devins joueur de Rugby (tout en étant athlète, les deux sports sont souvent combinés), puis mon fils aussi, trente ans plus tard.

Transmission, Culture, Héritage.

Il y a dans le Rugby, la leçon de la Vie.

Fabien Galthié sait cela. Son travail est donc infiniment plus psychologique et moral que technique. Avec de jeunes joueurs talentueux, ce n'est pas la technique qui prime.

Et ce soir, après cette victoire historique à Twickenham, après cette humiliation, ce n'est pas la technique en question, mais l'âme des peuples oubliée par l'Angleterre, ainsi que nous l'avions oubliée juste avant elle.

On ne gagnera peut-être pas notre coupe du monde à venir cet automne, mais une chose est sûre : on lui fera honneur avec un vrai style.


samedi 14 décembre 2019

Le Tour de Van Impe

Je crois que je vais écrire un article à propos du Tour de Van Impe, celui de 1976, celui de la canicule au bout duquel on vit Poupou de nouveau sur le podium.
Le Tour de Van Impe, un mythe, un montagne, un grimpeur.
Et Poupou, quarante ans passés faisait troisième à mes yeux émerveillés de petit garçon criant "vas-y Poupou !"
Poulidor à la façon des disques Polidor, enchaînait les plateaux et les pignons dépeints par les journalistes d'alors.
On était dans le temps d'avant les supercheries, dans le temps d'Homère et des légendes, un temps naïf et béni, le temps de Raymond Poulidor.
Et ce temps se mêlait mal, en vinaigrette assumée, se mêlait mal à celui du sport-spectacle et de l'argent facile.
Avec Raymond Poulidor, on a perdu le dernier représentant du vrai sport, à savoir en fait de l'esprit sportif.
Il était un temps fondateur où la défaite était fascinante, où l'effort était primordial et le sacrifice honoré. Nous avons oublié de la guerre au sujet du sport, un peu de son simulacre dont nous causait justement Montherlant.
Mais la guerre de Poupou, c'était celle de la Chevalerie, la joute héroïque, ordalique, et dont il sortait fier autant triomphant que vaincu.
Lucien Van Impe a remporté le Tour en 1976, un Tour offert à l'un des plus beaux grimpeurs de l'histoire de la petite reine, et Raymond Poulidor acheva sa carrière en étant sur la troisième marche de ce podium, pour sa dernière course.
Il va falloir que j'écrive un article à propos du Tour de Van Impe... Et pourtant, de ce Tour extraordinaire, on a tendance à ne retenir en vrai que Poulidor ! À quarante ans, troisième ! Allez Poupou !
Parler du Tour de Van Impe est illusoire, imbibé qu'il est de Poulidor. En France — étrange entité littéraire étatique — on triomphe en perdant, Guerre et Paix, la Berezina nous sanctifie mieux que le Jourdain.
La légende de la Grande armée s'est bien plus construite sur la terrible retraite de Russie — j'en suis un descendant — que sur Austerlitz.
Nous Français, vénérons curieusement plus nos défaites que nos victoires : Azincourt, Waterloo, DIEN BIEN PHÛ
Lorsqu'on regarde "La 317ème section", tout cela se met en ordre et se caractérise :
Il y a de l'élégance à perdre avec légèreté.
La France n'est pas un pays de "winners" (là-dessus Macron a tout faux !)
La France est un pays de loosers magnifiques — on adore être admirés — genre on fascine absolument les autres qui nous trouvent complètement cons de perdre alors qu'on devrait gagner — oui mais, avec le "panache", héritage inéluctablement indécrotable ancré sur notre Cyrano national.
Et Cyrano (putain de génie de Rostand !), ben c'est juste nous, fille ou garçon, nous sommes inséminés par son long nez.

Pendant ce temps, Van Impe emporta le Tour en 1976, et je devrais le raconter.


mardi 23 décembre 2014

Rugby polaire

à la suite de ce formidable article du journal L'EQUIPE
je vous propose ma vision des choses et mon espoir.



Il règne un froid polaire du côté obscur de la Force, un froid qui vous glace le sang, un froid qui conduit à la mort parfois... Cette Force qui est devenu le leitmotiv du Football de Rugby, semble l'entraîner de phases maniaques en phases dépressives dans ce qui est en réalité une violence non contenue, une virulence sans mesure face à laquelle les règles sont à parfaire d'urgence.
Il en est une simple et ferme et possible à mettre en application messieurs du Board, afin de sauver votre sport qui sombre dans la noirceur du côté obscur de la Force : obliger le plaquage aux jambes et interdire tout contact au-dessus de la ceinture. C'est ainsi que vous ramènerez l'esprit du jeu d'évitement dans votre sport !

Et pourtant, tout cela commence à l'école du jeu : la première chose que l'on apprend dans le rugby lorsque l'on est minot, c'est à plaquer, et plaquer, c'est faire tomber son opposé d'une prise aux jambes – voire aux chevilles pour les plus doués adeptes de la « cuillère » - sur une herbe bien grasse qui, sinon vous garnir de boue bien dégueulasse, vous garantit le moelleux d'un tapis de saut à la perche dans la chute.


On plaque aux jambes, et plus c'est gros, plus ça tombe lourdement.
Cessons de l'oublier et c'est de là que repartira le rugby.
La force des avants doit servir en mêlée, en maul constitué, là où la force debout est valorisée et valorisante, mais il faut interdire les percussions malsaines qui font dériver le jeu et le morphotype de ses acteurs.
Un physique de danseuse et d'ouvreur (de triple-sauteur en athlé'), j'adore faire tomber les balaises d'une petite cuillère. Après faut qu'il s'cache...
Autoriser les percussions, c'est permettre d'annihiler de petits gabarits en les détruisant par vengeance. Ne pas comprendre cela n'a fait qu'amener aux actuelles dérives.
Dans les écoles de rugby, on t'apprend à plaquer aux jambes ; c'est après en grandissant que les choses se compliquent.
Faire des équipes en catégories de poids serait absurde, car tout l'intérêt de ce sport réside en la représentation des différents morphotypes de l'athlé', selon les postes et les spécialités !
La dérive vers les rugbymen bodybuildés date du professionnalisme. Réinjecter le charme et la dimension civilisée, joueuse du vrai plaquage tel qu'on l'apprend aux enfants, permettrait de revoir des centres au physique de coureurs de 400 m ou de 800 m, tels que Sella et Codorniou, et de vrais ailiers sprinteurs comme Estève ou Bernat-Salles, sans parler des ouvreurs ou des demis de mêlée, ni des avants qui ressemblent aujourd'hui à des murs...
Si on ne met pas en place cette règle, le rugby deviendra un sport d'autobus, un spectacle de gladiateurs, tel que Laporte l'a voulu - avec le peu de succès que l'on sait - au point d'y perdre la culture du jeu à la française.
Si sa pratique est plus rapide et les joueurs plus lourds, son énergie cinétique (Ec = 1/2mv²) est surmultipliée par un facteur simple et un autre au carré. C'est physique et arithmétique, et c'en devient barbare ! Bientôt, interdire les chocs frontaux dans le rugby, ce sera sauver des vies.

Regardez jouer les enfants : le terrain de rugby, c'est le lieu d'un "épervier" géant dont le rôle voyage au gré des mouvements du ballon, c'est un sport d'évitement dont l'âme s'est égarée dans la testostérone et le dopage.
Mais c'est un sport encore adolescent, c'est à dire avec une force mature mais un esprit puéril. Certaines décisions lui permettront de passer à l'age adulte, celui des responsabilités.

samedi 20 octobre 2012

Un jour de gloire fut arrivé





Et ce jour-là fut le 11 février 1989.
Et ce jour-là, un petit franchouillard du nom franchouilleux de René Jacquot, battit le « Cobra » alias Don Curry – un nom sentant d'emblée l'épice, mais ce qui sent l'épice n'est souvent pas propre à consommer.
René Jacquot, c'était d'abord une gueule ! Une gueule de métallo' ! Une gueule de mec qui a pris des coups, comme une enclume sous un marteau... Une gueule de travailleur et de taiseux qui sait pourtant parler. Une gueule de syndicaliste lorrain qui a mis les poings d'exclamation et les gants de velours sur les aciéries. La gueule d'un mec fier de sa région, d'un français fier de sa patrie, de son histoire, de l'histoire de la boxe et de la place qu'il allait y creuser comme en un creuset des hauts-fourneaux.
Tel était René Jacquot avec son beau nez multiplement pété et sa gouaille intelligente.

En ce jour du 11 février 1989, rares étaient ceux à miser un kopeck sur les chances du français. L'adversaire, auréolé de sa légende de puncheur, apparaissait comme un évident punisseur. Il s'agissait de l'un des boxeurs les plus emblématiques de la légende de ce sport, et Jacquot se présentait alors apparemment en victime expiatoire. Mais Jacquot possédait sa logique à lui, à des années-lumière du bruit médiatique ; lui, il préparait son combat.
L'humilité est une arme puissante en matière de posture psychologique : elle apporte à la fois le gage du bon-droit et la rassurance du rien-à-perdre. Elle permet de structurer son projet selon des axes d'efficacité, de rectitude et de légitimité. Cet homme simple portait – et porterait, c'est mon avis encore – en lui les valeurs d'un public français qui s'identifierait.
Jacquot était un boxeur poussif : loin de lui les palmarès élogieux qui vous poussent au devant des grands combats de la lumière. Jacquot était un boxeur de l'ombre. Une barre de métal en fusion sur laquelle le marteau des poings s'était abattu comme afin de le ciseler idéalement.
Jacquot était un boxeur poussif, loin des flons-flons de la gloriole ultra-libéraliste et de ses illusions, loin des néons d'air sale, loin de l'Amérique, loin du Madison Square Garden, loin de Don « Cobra » Curry.
René Jacquot était un type avec lequel j'aurais pu tirer, comme avec ce champion de France amateur qui m'en mit plein la gueule pendant un round, parce que mon cousin lui avait dit que j'adorais les combats d'rue. René Jacquot était un futur champion du monde WBC avec une gueule de voisin d'à-coté. Son triomphe est un orgasme prolétaire ! Jacquot nous a montré la voie : celle du tout possible avec la foi, avec la certitude de son propre destin, et je ne saurais jamais infiniment encenser ce prophète autant que ma propre voix me dicte de le clamer.
Tout est possible !
Un métallo' français avec la gueule en biais, est en mesure de battre une star du show-bizz américain. Tout est possible, car le travail et le Génie ne sont pas déposés comme brevets sur le vivant par Monsanto. Tout est possible parce qu'il suffit de croire en Soi et en son Destin. C'est ce que fit René Jacquot, moins rapide, moins doué, moins fort, mais infiniment plus intelligent, et subtil.
Depuis, les années nous sont passées dessus... René perdit son titre en se tordant la cheville au premier round, contre le génial Mougabi. Ceci contribue formidablement à sa légende – avec ce terrible sentiment d'injustice dont je fus investi à l'époque. Mais il est important d'enrichir le mythe de Monsieur Jacquot.
Il me plairait bien – puisque je pars souvent vers l'Alsace – qu'il m'arrête et me paie un jour en sa Lorraine un verre, pour me parler de sidérurgie et de coups de poings.
La leçon est qu'en boxe, personne n'a jamais gagné d'avance, ni perdu non plus. C'est un sport de combat où il faut aller au charbon comme à la mine, creuser ses propres galeries pour apparaître au bout du monde, et cogner avec la certitude de son bien-fondé.
Notre France n'est que le produit de nos ambitions et de nos échecs.

dimanche 23 octobre 2011

La mort de l'anti-champion



La rugosité de sa voix m'avait heurté, en ce début juillet annonçant une canicule qui fut un feu de paille, au point que je mis bien quelques minutes à reconnaître le commentateur Laurent Fignon, plus par déduction inhérente aux effets de sa maladie et de ses traitements, qu'à sa véritable empreinte vocale.
Comme toujours, le monde entier l'encense dès lors qu'il n'est plus... Je ne crois pas que cela lui fasse grand plaisir de là-haut ! Ce mec avait une trop grande gueule et un amour trop viscéral de la vérité pour jouir au paradis des salamalecs du sportivement correct.
Laurent Fignon est un anti-champion car il est l'antithèse de ce que produit habituellement un cycliste d'élite, et français de surcroit, sur l'imaginaire des masses populaires. Difficile de s'identifier à ce garçon marginal, marginal par son allure (cheveux longs d'un blond filasse et tirés en catogan, petite lunettes rondes façon Trotsky ou Gandhi), marginal par son intelligence, son niveau de culture et sa sagacité.
C'est en grandissant que je me suis mis à apprécier puis à aimer ce cycliste ; plus cela devenait dur pour lui, et plus je devenais adulte, plus son panache et son courage me sont apparus splendides.
Pourtant, c'est l'été 1983 que la France découvrit celui qui allait pallier l'absence du héros national, Bernard Hinault. Et d'emblée, il ne fut pas l'élu de la liesse publique : on lui préférait - dans le duel franco-français - le petit Pascal Simon qui, malheureux, s'y fissura une omoplate dans une chute, abrégeant ainsi la tragi-comédie annoncée, et laissant les lauriers au futur mal-aimé du Tour de France, au plus grand anti-champion de tous les temps.
L'année suivante, Hinault était de retour et tout le monde attendait qu'il croque Fignon. Même Coluche eut ces mots devenus célèbres : "Il a fait le trou Fignon, mais se faire battre par Hinault, c'est rosse !"
Il n'en fut rien. Le parisien - ce qui ne rajoutait rien à sa popularité, car on aime bien les cyclistes qui sentent bon le terroir - écrasa sportivement le breton d'une façon éclatante qui ne fit pourtant pas vibrer les foules. Avec du recul, on mesure mieux la dimension de l'exploit...
Dopage ?
Il a avoué s'être dopé. Le problème du cyclisme n'est pas tant, à postériori, celui du dopage que celui de ceux avouant y avoir eu recours. Tout le monde se dopait... Il y avait un certain pied d'égalité... Tout le monde sauf Charly Mottet - que bien sûr le grand public a oublié - quelques années plus tard, et dont on pense qu'il eut du gagner plus de Tours que Lance Armstrong si le peloton avait roulé à l'eau claire.
Qui est le coupable ? Le dopé ou l'institution laxiste qui le permet ?
C'est la dernière question philosophique que nous a laissé feu Laurent Fignon.
Ce dopage a d'ailleurs probablement brisé sa carrière. Il eut - comme Hinault juste avant lui - la maladie inflammatoire des tireurs de braquets monstrueux, gonflés qu'ils étaient sans le moindre doute par des substances propices à augmenter la vitesse, sans pour autant rendre plus spectaculaire le sport.
Il mit beaucoup de temps à revenir à son vrai niveau, mais y parvint toutefois, en ce dramatique été 1989. Il avait dominé ce tour de la tête et des épaules, et un peu des jambes aussi... Il disposait d'une avance confortable, mais les organisateurs en quête de spectacle, avaient décidé que la dernière étape des Champs serait un contre-la-montre. Plus jamais cela ne sera le cas. Ce jour-là, il y eut un traumatisme national : alors que le mal-aimé s'apprêtait à empocher son troisième Tour, on-ne-peut-plus logiquement, il franchit la ligne avec un retard de huit petites secondes sur la première place du podium, réservée à un américain ayant roulé avec un guidon adapté, un vélo profilé, et je ne sais quelle autre arme technologique...
L'histoire racontera qu'en plus, notre anti-champion souffrait le martyre avec quelques furoncles au cul !
Il s'est gardé d'en parler.
Alors qu'il pouvait devenir une idole des foules, ces mêmes foules embrasées par les secondes places à répétition d'un Poulidor, préférèrent un silence mortuaire et l'oubli de cet événement.
Il reste de lui l'image de son effondrement sur la ligne, à bout de tout, car il allait à bout de tout, comme il est allé au bout de sa maladie. Pas d'excuse ! Pas de faux-fuyant ! Gagner c'est gagner, et ça se fait sans humilier. Perdre c'est perdre, et ça se fait dignement. Laurent Fignon est allé une fois encore au bout de lui-même. Il était présent en tant que commentateur sur le dernier Tour de France, et il s'est lâché, vilipendant les tactiques stériles, lui qui aimait tenter le tout-pour-le tout.
Dans la vie, on aime spontanément, et donc souvent bêtement.
Et puis parfois, on n'aime pas trop, on apprend à reconnaître, à connaître, à apprécier, chapeau tiré, et on finit par aimer vraiment.
Ce type-là, c'était certainement un anti-champion, mais putain ! C'était un type que j'aimais bien.
C'est con d'attendre une mort pour écrire de telles choses.

HAKA




Pour rien au monde, je ne manquerais un Haka !
Le Haka, c'est cette danse traditionnelle Maori, de laquelle les joueurs de rugby néo-zélandais font invariablement précéder chacune de leurs prestations internationales. Vêtus généralement du costume d'un arbitre, All Blacks, on dit d'eux qu'ils portent le deuil de leur adversaire. Quant au Haka, il s'agit de bien autre chose que d'une simagrée folklorique au service d'une quelconque culture rugbystique.
Le Haka est une danse fondue dans un chant d'origine immémoriale. Les Maoris forment la population aborigène de cette île des antipodes. C'est un peuple fier et guerrier qui ne se laissa pas coloniser veulement.
La cérémonie du Haka servait autant à l'accueil pacifique du visiteur qu'à la diffusion d'un ultimatum belliqueux. Je dis "cérémonie", car il s'agit bel et bien d'une célébration durant laquelle une phalange humaine exécute de façon synchrone, une série de gestes rituels qu'elle accompagne à l'unisson d'un verbe martelé comme les membres propres de chaque individu de la communauté.
Un Haka permet à la fois la réunion dans la force qui prélude à l'effort d'un groupe (guerre, chasse, pêche, match), et la décharge d'adrénaline garantissant à chaque individu de garder la tête froide en toutes circonstances.
La culture Maori marque intensément le contraste des deux sexes dans ses chants : un Haka rythmé brutalement de voix graves masculines peut se recouvrir de véritables mélopées féminines. Souvenez-vous de la scène de fin du film "La leçon de Piano" de Jane Campion, lorsqu'ils embarquent le dit-piano sur la pirogue.
Jane Campion, réalisatrice néo-zélandaise su montrer dans ce film, outre la belle et terrible histoire d'amour, comment se construisit la nation de "la terre des nuages", Aotearoa, d'un épicé mélange entre autochtones et arrivants pour la plupart écossais.
Il existe évidemment plusieurs formes du Haka ; la plus connue (ci-dessus) se nomme le Ka mate, dont voici les paroles :


Ringa pakia !
Uma tiraha !
Turi whatia !
Hope whai ake !
Waewae takahia kia kino !
Ka mate ! Ka mate ! Ka ora !
Ka mate ! Ka mate ! Ka ora !
Tenei te tangata puhuru huru
Nana nei i tiki mai, Whakawhiti te ra
A upane ! ka upane !
A upane ! ka upane !
Whiti te ra ! Hi !

(Tapez les mains contre les cuisses !
Soufflez !
Pliez les genoux !
Laissez la hanche suivre !
Tapez des pieds aussi fort que vous pouvez !
Je meurs ! je meurs ! je vis ! je vis !
Je meurs ! je meurs ! je vis ! je vis !
Voici l'homme poilu
Qui est allé chercher le soleil
Et l´a fait briller à nouveau !
Un pas ! Un autre pas !
Un pas ! Un autre pas !
Devant le soleil qui brille ! Hi !)

Il s'agit de celle qu'exécutaient exclusivement les rugbymen, jusqu'au triste jour sud-africain qui les virent couverts par d'irrespectueux chants locaux.
Lorsque l'équipe à la gazelle fit à son tour le voyage d'Auckland, une surprise en forme de réception toute particulière l'y attendait. Je vous laisse à ce stupéfiant spectacle :








Ce Haka se nomme le Kapa o Pango dont voici les paroles :


Kapa o pango kia whakawhenua au i ahau !
Hi aue, hi !
Ko Aotearoa e ngunguru nei
Hi Au,au,aue ha! Hi
Ko Kapa o Pango e ngunguru nei !
Hi Au,au,aue ha! Hi
I ahaha !
Ka tu te ihiihi
Ka tu te wanawana
Ki runga ki te rangi e tu iho nei,
Tu iho nei, hi !
Ponga ra !
Kapa o Pango, aue hi !
Ponga ra !
Kapa o Pango, aue hi, ha !

(Laissez-nous nous unir avec notre terre
C'est notre terre qui gronde
Nous sommes les All Blacks
Il est temps ! C'est mon moment !
Notre règne
Notre suprématie triompheront
Et nous atteindrons le sommet !
La fougère argentée !
All Blacks !
La fougère argentée !
All Blacks !)

On ne badine pas avec la Tradition lorsque l'on est un peuple, multicolore certes, mais issu de celle que se partagent allègrement les gènes des Highlands et de la Polynésie !
La façon dont Tana Umaga, leader de ce Haka - le Haka des All Blacks est toujours dirigé par un joueur ayant du sang Maori -, vit littéralement et exprime de tout son être la nature de la blessure, de l'humiliation infligée à sa culture, la manière dont les quinze, après avoir posé UN genou et le poing à terre, sur LEUR TERRE, avancent de concert vers leurs adversaires, d'abord en se frappant le torse et les cuisses, puis - quelle frayeur ! - les deux bras tendus à plat, tel un banc de squales pointant leurs nez sur leurs proies, pour finir par ce geste si multi-culturellement explicite d'un pouce traversant la gorge, tout cela est proprement stupéfiant.
Ce dernier geste leur fut aussi reproché, par trop guerrier, mais le Haka n'est pas la guerre. Il faut chercher à le comprendre. Il peut précéder la guerre, mais beaucoup d'autres choses aussi, comme un sport pratiqué dans les règles et l'équité, sans jamais perdre le respect. Car telle est la leçon du Haka : inspirer le respect, et montrer son respect.
Ainsi qu'il l'est évoqué dans le magnifique et froidement lucide film de Lee Tamahori, "L'âme des guerriers", le Haka sert aussi à inculquer une disciplines aux jeunes délinquants Maori et métisses, dans le cadre de programmes de réinsertion socio-professionnelle. Tout n'est pas rose en Nouvelle-Zélande et cette oeuvre le montre bien, mais le Haka s'y pratique en mémoire des ancêtres, afin d'y retrouver la source de l'âme profonde et de la fierté de soi ; il s'y pratique partout et par tous, à l'école, dans les clubs de rugby, par les Maori, les métisses, les blancs, les jaunes, les noirs. Il est la quintessence de l'idée de cette nation, son union sacrée, le respect de soi et le respect de l'autre collectivement exprimés.
Alors, lorsque le calendrier des matchs internationaux fait un petit pays des îles polynésiennes - qui ont chacune leur forme de Haka - rendre visite à sa grande cousine, cela peut accoucher d'un spectacle surréaliste, que nous proposa cet avant-match contre l'archipel des Tonga :








Le Haka est l'un des éléments de mon admiration pour les cultures océaniennes, au même titre que l'art du tatouage Maori - si proche de nos motifs celtiques -, les musiques et légendes aborigènes d'Australie, et une enfance bercée par des récits de Tahiti, l'héritage d'un journal quotidien en provenance du paradis terrestre, un tout qui ne saurait pas ne pas se transformer un jour en roman...
Qu'avons-nous à leur proposer nous petits français ? Une Marseillaise, qui est plus un chant de révolte que de révolution, et notre fameux "french-flair" - cette propension à jouer au rugby de façon imprévisible - dont ils sont si respectueux.
Le Haka, sert à prouver le Respect, cet article aussi.

mardi 18 mai 2010

España

En ces temps d'effervescence qui préludent habituellement aux phases finales de coupe du monde de football, où l'on découvre chez des millions de français le talent caché de sélectionneur qu'un seul, tant honni, est chargé d'endosser, j'ai choisi de vous entretenir de ce qui rend la vérité belle quoique tronquée : le souvenir.
Cela s'est donc passé en 1982. En ce bel été torride où le « mundial » avait choisi l'Espagne pour berceau d'élection, j'avais treize ans et demi, l'age auquel on ne fume ni ne boit encore, et que si l'on boite, c'est de pratiquer et d'aimer non les femmes, mais à la folie le sport. J'ai choisi de vous en parler parce qu'outre la douceur enjolivée du souvenir, outre la transe hallucinante que nous vécûmes en 1998, ce bel été fut au football la charnière entre son époque classique et son époque moderne et, ainsi que l'a mentionné Hugo Pratt au sujet de la guerre d'Espagne – on ne pouvait imaginer meilleure coïncidence géographique – son dernier épisode romantique.
Cette épreuve recéla tant de la beauté passée du sport, héroïque, que du vice à venir et de l'industrialisation professionnelle qui finira un jour par ne plus faire rêver personne, qu'en cela 1982 fut probablement la plus palpitante et la plus dramatique édition – la douzième – de ce rendez-vous absolu de l'humanité. Ce sont mes yeux adolescents qui vous l'écrivent.
C'était Dalida qui chantait l'hymne d'encouragement à l'équipe française qui s'était alors valeureusement qualifiée. Les temps changent... Il y avait des italiens d'origine dans cette sélection : Platini, Genghini. Des espagnols aussi : le très très jeune Amoros, Lopez, Soler (fait pour les canicules). Des noirs magnifiques de nos Antilles esclavagistes : Trésor (qui portait incroyablement son nom), Janvion. Et quelques blancs aux noms tellement communs qu'on aurait presque pu les trouver dans les pages blanches du Larousse : Lacombe, Six (qui portait le numéro 13 par esprit de contradiction), et évidemment j'y suis Giresse...
Tout cela, bien avant le pipeau des experts en communication qui nous servirent un black-blanc-beurre rance de componction médiatique, faisait la France, et nul ne s'en frappait. A l'époque, on s'attachait plus aux choix tactiques d'un sélectionneur au nom de joli cœur (Hidalgo) – qui avait osé composer un milieu de terrain avec trois meneurs de jeu de génie – qu'aux élucubrations existentielles des stars scandaleusement rémunérées du foot. A l'époque, on était naïf et heureux, on était enfant, on aimait la sélection, on était humble – il s'agissait de passer le premier tour, à l'époque on avait confiance en nos joueurs, on les aimait...
Et leur début fut une catastrophe !
Quatre ans plus tôt, en Argentine, Six et Lacombe avaient planté contre l'Italie, en trente secondes, le but le plus rapide de l'histoire de la coupe...Ce ne fut qu'un feu de paille. Quatre ans plus tard, en vingt-sept secondes – record battu – ils encaissaient le premier dard de la perfide Albion.
La grande Allemagne ne fut pas plus à la fête ! Face à la jeune Algérie de Dahleb et Madjer, il concédèrent une première défaite : le ballon rond se mondialisait enfin, façon globe terrestre.
L'Italie concédait le nul face au Cameroun ! On découvrait un acrobate incroyable du nom de Thomas N'Kono : tous les petits gardiens de but blancs ensuite auraient voulu avoir sa peau noir et sa souplesse léoparde.
Et puis le Brésil... Zico, Eder, Falcao, le docteur Socrates, philosophe de la défense. Rien ne semblait pouvoir résister à cette invincible armada. Si depuis le Brésil a remporté deux fois la coupe du monde, jamais, jamais, ô grand jamais, je ne vis une équipe de football plus talentueuse, plus inspirée, plus grandiose, plus impériale, plus brésilienne. L'or est un métal rare. Et là les pépites abondaient ! L'histoire de son échec est un drame pasolinien. J'y reviendrai.
Du côté de l'Argentine (tenante malsaine du titre au ronflement des généraux fascistes), il y avait une jeune star du nom de Diego Maradona.
L'Espagne rata honteusement son rendez-vous.
La France joua un match d'anthologie contre le Koweit, que l'on connut ainsi avant que Saddam Hussein ne décida de l'annexer. C'est à cette occasion que l'on vit un Cheikh en blanc, venir annuler un but français, comme une ligne sur un compte en ligne, signe du pouvoir de l'argent qui guettait le foot ainsi qu'un vautour. On vit l'énervement et les larmes d'un sélectionneur. C'était une époque où l'on n'annonçait pas ses frasques sentimentales en gageure de la déception d'un évènement sportif. Mais le grand Maxime – Bossis de son nom – remit l'ordre en la maison.
La France resta donc sur un match couperet à jouer contre une nation dont je vous demande à tous de bien visualiser le nom : la Tchécoslovaquie. Tu sais, un truc fait de tchèques et de slovaques. En fait, on jouait à un contre deux ! Et que ce fut dur ! Il fallut la tête d'un môme de dix-huit ans sur la ligne, à la dernière minute, pour continuer à rêver.
On honore souvent la beauté des buts en foot. Si, au moment de mourir, il me faut me souvenir d'un geste dans le sport, ce sera cette image indélébilement imprimée sur ma rétine : Manuel Amoros détournant sur la ligne de but un ballon qu'Ettori ne put capter. Et c'était un p'tit bonhomme en plus ! Les valeurs qui font l'équipe, le sacrifice, le dévouement, la présence, tout est résumé là. Le souci du détail est la condition sine qua non à l'exécution des œuvres les plus grandioses. Le défenseur sauvant son équipe à la dernière seconde est aussi précieux que le buteur, parfois même plus. Et c'est ainsi que notre équipe eut le droit de continuer cette compétition.
L'Allemagne et l'Autriche jouèrent un non-match nul permettant d'éliminer l'Algérie...
Le Cameroun aussi fut éliminé par l'Italie de manière aussi triste...
La triste Espagne se qualifia piteusement en laissant sa première place à l'Irlande du Nord.
Ceci fit à la France un groupe curieux pour la suite, aléa des faiblesses des grandes nations, et préalable aux errements de l'ère contemporaine.
Platini était blessé, mais les autres firent merveilleusement le boulot. Depuis le temps que l'on disait la France « championne du monde des matchs amicaux », que l'on qualifiait ce conglomérat bleu-blanc-rouge de « petit Brésil », on découvrait soudain la beauté de leur jeu « champagne », et c'est naturellement qu'ils finirent dans le dernier carré.
Par ailleurs, la tricheuse Allemagne et la laborieuse Pologne, s'y qualifièrent aussi à coup de nullités. Et puis, il y eut l'autre groupe : celui de l'Argentine, du Brésil et de l'Italie.
A la surprise générale, l'Italie battit d'abord l'Argentine de Maradonna. Ce dernier fut maltraité par les défenseurs italiens, une honte, ce qui pousse à bout au point de parfois balancer un coup de boule... C'est presque ce que fit Maradonna au match suivant, contre les brésiliens. Vous voyez ! Il y a des précédents. Et ça, ce n'est pas le football héroique. Et lui aussi fut expulsé.
C'est ainsi que brésiliens et italiens jouèrent l'équivalent d'un quart de finale. J'ai vu ce match en direct. Un grand match. Non. Un match immense. L'un des plus incroyables matchs que j'ai vu... La plus grande équipe de tous les temps – et je pèse mes mots – contre la plus incroyable machine à gagner de tous les temps. A la tête de cette dernière, il y avait un buteur sans égal, un type interdit de football pendant plusieurs années pour avoir participé à des trucages sportifs au nom du totocalcio, un repenti : Paolo Rossi.
Il a mis les trois buts qui ont annihilés les deux fantastiques du Brésil...
Chaque soir qu'il m'est donné de penser avant de dormir en me couchant, je suis susceptible de repenser à cette monstrueuse escroquerie footballistique. J'ai beaucoup aimé le surnom dont le journal « L'équipe » affubla Paolo Rossi : « l'assassin blême ».
C'était un peu beaucoup de nos rêves qui mourraient sous ses coups...
Mais il nous restait nous pour rêver la « nuit bleue de Séville ». Et qu'elle fut grandiose ! L'intensité de la demi-finale entre la France et l'Allemagne n'est plus un match de foot. J'espère écrire ces quelques mots en hommage à ses acteurs, car il est des instants sportifs qui dépassent le cadre sportif, et qui sont à jamais mes souvenirs adolescents. Quel magnifique théâtre ! Et c'est en lui que va se nouer le drame de deux peuples s'aimant au point de pouvoir se détester à nouveau. Cette demi-finale d'une coupe du monde de football a dérivé... au point de ne plus être totalement un match de football, mais la scène d'une tragédie de désirs, et d'existentialisme national.
Il n'y aura plus jamais d'émotion identique à celle-ci.
Le propre d'une émotion flagrante est d'être inreproductible. On ne peut plus que vivre avec son souvenir. Et d'apprendre à construire avec son souvenir. Ce souvenir est probablement la plus belle déclaration d'amour d'un peuple à un autre, quand bien même elle soit faite de rancœurs, de haine instantanée, d'envie de vengeance, d'amour, d'absolu, de tous les sentiments et gestes dont les acteurs nous sont porteurs par procuration.
On pourra se souvenir de l'agression d'un gardien dopé sur un joueur français... On pourra se souvenir du but fantastique de Marius Trésor, qui essayait de calmer ses coéquipiers dans leur euphorie – son calme me reste aussi gravé. On pourra se souvenir du but de Giresse et de son explosion gamine, du but de Rummenige, du retourné fou de Fischer, des pénalties ratées et réussis, moi je me souviens juste d'une chose : avant les prolongations, Manuel Amoros – toujours lui – a décoché un tir qui a fini sur la barre transversale. Le destin avait tracé sa voie : celui qui avait sauvé l'équipe n'avait pu la qualifier.
Je me souviens aussi que mon grand-père – qui n'était pas un grand fan' de foot – me répétait souvent que c'était un sport de chance. Ce soir-là, la chance n'avait pas choisi le camp du romantisme, mais celui du réalisme. Et l'Allemagne se qualifia chichement, et l'Italie l'emporta pragmatiquement.
Ce fut la plus belle coupe du monde. 1982. La dernière page romantique du football...