samedi 20 octobre 2012

Un jour de gloire fut arrivé





Et ce jour-là fut le 11 février 1989.
Et ce jour-là, un petit franchouillard du nom franchouilleux de René Jacquot, battit le « Cobra » alias Don Curry – un nom sentant d'emblée l'épice, mais ce qui sent l'épice n'est souvent pas propre à consommer.
René Jacquot, c'était d'abord une gueule ! Une gueule de métallo' ! Une gueule de mec qui a pris des coups, comme une enclume sous un marteau... Une gueule de travailleur et de taiseux qui sait pourtant parler. Une gueule de syndicaliste lorrain qui a mis les poings d'exclamation et les gants de velours sur les aciéries. La gueule d'un mec fier de sa région, d'un français fier de sa patrie, de son histoire, de l'histoire de la boxe et de la place qu'il allait y creuser comme en un creuset des hauts-fourneaux.
Tel était René Jacquot avec son beau nez multiplement pété et sa gouaille intelligente.

En ce jour du 11 février 1989, rares étaient ceux à miser un kopeck sur les chances du français. L'adversaire, auréolé de sa légende de puncheur, apparaissait comme un évident punisseur. Il s'agissait de l'un des boxeurs les plus emblématiques de la légende de ce sport, et Jacquot se présentait alors apparemment en victime expiatoire. Mais Jacquot possédait sa logique à lui, à des années-lumière du bruit médiatique ; lui, il préparait son combat.
L'humilité est une arme puissante en matière de posture psychologique : elle apporte à la fois le gage du bon-droit et la rassurance du rien-à-perdre. Elle permet de structurer son projet selon des axes d'efficacité, de rectitude et de légitimité. Cet homme simple portait – et porterait, c'est mon avis encore – en lui les valeurs d'un public français qui s'identifierait.
Jacquot était un boxeur poussif : loin de lui les palmarès élogieux qui vous poussent au devant des grands combats de la lumière. Jacquot était un boxeur de l'ombre. Une barre de métal en fusion sur laquelle le marteau des poings s'était abattu comme afin de le ciseler idéalement.
Jacquot était un boxeur poussif, loin des flons-flons de la gloriole ultra-libéraliste et de ses illusions, loin des néons d'air sale, loin de l'Amérique, loin du Madison Square Garden, loin de Don « Cobra » Curry.
René Jacquot était un type avec lequel j'aurais pu tirer, comme avec ce champion de France amateur qui m'en mit plein la gueule pendant un round, parce que mon cousin lui avait dit que j'adorais les combats d'rue. René Jacquot était un futur champion du monde WBC avec une gueule de voisin d'à-coté. Son triomphe est un orgasme prolétaire ! Jacquot nous a montré la voie : celle du tout possible avec la foi, avec la certitude de son propre destin, et je ne saurais jamais infiniment encenser ce prophète autant que ma propre voix me dicte de le clamer.
Tout est possible !
Un métallo' français avec la gueule en biais, est en mesure de battre une star du show-bizz américain. Tout est possible, car le travail et le Génie ne sont pas déposés comme brevets sur le vivant par Monsanto. Tout est possible parce qu'il suffit de croire en Soi et en son Destin. C'est ce que fit René Jacquot, moins rapide, moins doué, moins fort, mais infiniment plus intelligent, et subtil.
Depuis, les années nous sont passées dessus... René perdit son titre en se tordant la cheville au premier round, contre le génial Mougabi. Ceci contribue formidablement à sa légende – avec ce terrible sentiment d'injustice dont je fus investi à l'époque. Mais il est important d'enrichir le mythe de Monsieur Jacquot.
Il me plairait bien – puisque je pars souvent vers l'Alsace – qu'il m'arrête et me paie un jour en sa Lorraine un verre, pour me parler de sidérurgie et de coups de poings.
La leçon est qu'en boxe, personne n'a jamais gagné d'avance, ni perdu non plus. C'est un sport de combat où il faut aller au charbon comme à la mine, creuser ses propres galeries pour apparaître au bout du monde, et cogner avec la certitude de son bien-fondé.
Notre France n'est que le produit de nos ambitions et de nos échecs.

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